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Une chanteuse "populaire"

10 Octobre 2020 , Rédigé par Jean-Marc CARON

C'est une série d'images que j'avais dans ma collection d'affiches publicitaires et de spectacles, glanées au fur et à mesure de mes recherches sur la Toile, qui m'on donné l'idée de retracer l'histoire de l'une des chanteuses populaires qui eu son heure de gloire au début du XXème siècle.

J'ai deux affiches de cabarets, ainsi qu'un dessin au crayon et une photo qui représentent cette personne. De plus, j'ai eu la chance, dans mes recherches, de découvrir un article qui lui est consacré, ainsi que le texte de ses mémoires ! Que demande le peuple !

Elle s'appelle Eugénie BUFFET. Elle était née à Tlemcen, en Algérie, le 26 novembre 1866, et décédée à Paris le 11 mars 1934. Voici les trois documents dont je disposais alors (le quatrième est en en-tête de l'article) .

Eugénie Buffet (République)
Eugénie BUFFET (Ambassadeurs)

 

Eugénie Buffet en 1933

Sa mère était couturière, et son père, soldat professionnel, décéda des suites de ses blessures de guerre, en 1872. Elle avait six ans. Elle le raconte ainsi dans ses Mémoires :

Voir ici "Eugénie Buffet, Ma vie, Mes amours, Mes aventures"

Eugénie BUFFET, Mémoires

" Je suis née en novembre 1866 à Tlemcen en plein Bled algérien, d'une mère couturière et d'un père soldat de profession, qui mourut en 1872, à l'hôpital militaire d'Oran, des suites de ses blessures. Demeurée seule, ma mère se mit à travailler en journée pour subvenir à nos besoins et, grâce à un labeur acharné, elle parvint à gagner assez d'argent pour me faire admettre chez les Sœurs Trinitaires à l'Institution Saint-Louis d'Oran ; ma faiblesse de constitution, ma mauvaise santé ne me permirent point de suivre les cours avec profit. Je m'appliquai cependant à écouter les sages paroles qui nous étaient adressées, et à retenir avec soin les prières que l'on nous enseignait. Dès que j'eus accompli ma première communion, une de mes tantes me prit avec elle, me forma aux travaux du ménage, et je puis avouer aujourd'hui qu'en dépit de l'existence errante que j'ai si longtemps menée, j'ai toujours conservé, au fond de mon cœur, cet amour de la maison, que, toute petite, ma parente m'avait inculqué. Et, bien souvent, par les soirs de mélancolie, quand je suis seule et que mon âme pleure sur mes rêves défunts, il me vient un regret profond de n'être pas tout simplement devenue, comme tant d'autres, une bonne ménagère et une brave mère de famille "

Et, comme elle dit plus loin, si elle ne fut pas devenue "une ménagère" et une "mère de famille", c'est à cause d'un événement brutal : l'un de ses cousins avait abusé d'elle et elle dut quitter la maison de sa tante. Elle fut alors placée chez un huissier de Mascara. Ses nouveaux patrons l'envoyaient souvent porter des friandises, tartes, confitures, fruits, chez un de leurs amis intimes, le Révérend Père Charles de Foucaud !

Le révérend Charles de FOUCAUD

Elle le trouvait " presque toujours dans la même attitude, assis par terre, en gandoura, à la mode arabe, et enfoncé dans la lecture du Coran. A cette époque, le Lieutenant de Foucauld, être généreux s'il en fut, s'appliquait à trouver le véritable but de sa vie ; il hésitait entre la religion musulmane, la religion catholique et la carrière des armes. L'excellent homme qui, comme moi, subissait une "crise" morale et cherchait sa voie, devait plus tard la trouver, et finir hélas ! son existence de vaillance et de sacrifice en mourant assassiné au cours d'une de ses missions. Que de fois j'ai songé à ce noble garçon et l'ai pleuré en me remémorant les courts instants où j'allais le voir, les bras chargés de friandises, et où je demeurais à l'écouter, l'âme attendrie par les paroles de sagesse, de courage et de bonté qu'il me prodiguait ! Ah ! les bons et chauds regards de Charles de Foucauld- regards d'amour sincère, de tendresse vraie comme je les revis souvent, à travers la distance des années, quand le petit cendrillon sauvage que j'étais alors fut devenue l'amie du peuple et l'apôtre de la chanson "

Elle était déjà passionnée de théâtre, sa mère l'emmenant chaque dimanche voir des représentations. C'est ainsi qu'elle avait choisi sa véritable vocation ! Elle commença donc à prendre des cours de théâtre. Elle eut alors l'opportunité de débuter dans un petit rôle au théâtre de Mostaganem, où elle gagnait 100 francs par mois ! Somme toutefois dérisoire pour lui permettre de vivre décemment, et son manque d'instruction (elle dit elle-même qu'à l'époque elle savait à peine lire et écrire) elle cotoya de nouveau la misère, et craignait de devoir "payer de ses charmes" pour vivre décemment. Elle le dit elle-même dans ses mémoires :

"Les cent francs par mois que m'octroyait mon directeur ne me permettaient point de faire face à mes frais de pension et à l'entretien de ma garde-robe théâtrale. Privée de toute instruction élémentaire, sachant à ce moment à peine lire et écrire, n'ayant, par ailleurs, aucune connaissance de chant ni de diction, je me trouvai, bientôt, dans un état voisin de la détresse. Toutes les femmes qui, comme moi, ont souffert et lutté, toutes celles qui portent en elle le fier idéal du courage et la haine des promiscuités injurieuses de l'homme, comprendront les angoisses torturantes que j'éprouvai à la pensée que, pour échapper à un sort de misère et à une défaite artistique finale, il me faudrait peut-être connaître une destinée plus honteuse encore, me ravaler au rang des pauvresses obligées de subir de dégradants baisers, en échange des quelques louis qui les font vivre ! pouah ! Je portais encore dans ma chair, comme la plaie d'un fer rouge, la première blessure faite par un goujat, et j'étais littéralement écœurée, épouvantée, à l'idée que je pourrais être une seconde fois la victime d'une telle brute ! "

C'est alors qu'elle rencontra un jeune clerc de notaire qui, tombé amoureux d'elle, lui offrit de partager sa vie. Elle vécut donc quelques années avec lui, mais le "virus" de la scène la reprit bien vite et elle quitte alors le nid et s'embarque pour Marseille, en 1884, elle a 18 ans.

Plan de Marseille en 1860

Elle regrette bientôt d'avoir fait ce choix, car la cité provençale est en prise avec une épidémie de choléra, de laquelle elle sera elle-même atteinte et soignée à l'hôpital. Elle raconte ainsi son ressenti de la ville : " Marseille était dans le marasme. J'y trouvai des cafés sombres, des bars louches, des estaminets pleins de ténèbres, et peuplés de faces patibulaires. J'y rencontrai surtout le vice, la crapulerie, les basses invites à la débauche ; je m'y sentis environnée de désirs malsains, convoitée par des souteneurs ou guignée par ces éhontés personnages qui y pullulent et qui vivent du trafic de la chair humaine, de la traite des blanches ! Je me trouvai réduite à chanter dans des guinguettes, en banlieue, à quelques cent mètres de la ville, et à y faire la quête pour ne pas crever de faim et pour solder la chambre misérable où je couchais ! Quelle dégoûtation ! quelle tristesse ! Ah ! comme j'étais loin du petit intérieur où, le soir, sous la lampe, je lisais de bons livres, aux côtés du cher compagnon que j'avais abandonné. "

Elle se console toutefois en se rendant deux ou trois soirs à l'Alcazar, un music-hall réputé de la ville, pour y entendre les célébrités de l'époque, dont la chanteuse Amiati.

L'Alcazar de Marseille
Amiati, chanteuse populaire

 

Mais elle se lasse vite de cette vie de mendicité et d'errance, et elle trouve enfin un petit rôle, qui lui fait re-traverser la Méditerranée, pour Tunis. Mais elle n'y trouve pas non plus ce qu'elle cherchait, l'ambiance y étant encore plus délétère qu'à Marseille, et elle se rappelle alors aux bons souvenirs de son ancien ami clerc de notaire, - lequel d'ailleurs n'avait jamais cessé de lui écrire - et il quitte Mostaganem pour lui donner rendez-vous à Alger, pensant que cette ville  serait plus propice à la vie qu'elle souhaitait.

Mais au bout de quelques mois, elle eut beau faire, elle recommença à rêver  de la scène ! Pendant que son compagnon partait au travail, elle retournait voir les théâtres et les music-halls et elle dût de nouveau lui dire adieu, qui fut cette fois, définitif !

Elle cite ce passage dans ses mémoires : " Je m'échappais encore, de temps à autre, pour aller entendre dans les concerts d'Alger les grandes vedettes qui y faisaient quelques rares et rapides apparitions. La musique, les lumières, les bravos, la foule me tentèrent encore, la même force inconnue et irrésistible me saisit à nouveau, je brisai une deuxième et dernière fois l'humble foyer que m'avait fait un homme de cœur. Un dernier regard sur les choses qui m'environnent ; une dernière pensée au malheureux garçon dont j'ai gâché la vie à jamais. Quelques pleurs voilent mes yeux, un gros sanglot passe dans ma gorge. Pauvre ami. C'est fini. Je suis partie, pour ne plus revenir cette fois !  "

Marseille, le Palais de Cristal

Elle ne rêvait que de retourner à Marseille, cette ville qui continuait pourtant de l'attirer, malgré tout ce qu'elle y avait vécu. Elle parvint néanmoins à débuter au Palais de Cristal, nouveau concurrent de l'Alcazar, où elle chantait sous le nom de Juliany, un tour de chant composé de bric et de broc, "de miettes d'opérettes ramassées au hasard de mes souvenirs " dit-elle dans ses Mémoires. Elle fut chahutée par la foule et  s'enfuit de scène. Elle pleura un mois ses illusions perdues, en arpentant les rues de la ville, fuyant les hommes qui lui faisaient des avances, et elle avait faim !

Le Palais de Cristal, à Marseille

Elle cite cette période noire dans ses Mémoires " Une-sourde révolte éclatait en moi, chaque fois que, passant devant une gargote, la porte entr'ouverte m'envoyait ses bouffées de cuisine chaude, et qu'à travers les vitres mouillées par la sueur des plats fumants, j'apercevais tous ces hommes, dont le visage s'éclairait d'une joie gourmande et vorace. Ah ! manger ! manger ! Toute ma passion du théâtre, toute ma volonté de travail, toute ma fièvre d'amour et d'idéal, avaient fait place à ce besoin tyrannique la faim.

Je venais d'avoir vingt ans.. C'était en automne, au mois de novembre 1886. Vingt ans... et je mourrais de faim ! Vingt ans. En passant devant les glaces ternes des boutiques pauvres, je regardais ma silhouette frileuse, mon visage émacié, mon cou presque décharné, mes yeux rougis de pauvresse qui a déjà trop pleuré. Je me mis à fuir, effrayée comme devant une image d'épouvante. Je courus pendant longtemps, et, pendant que je courais, butant sur le pavé, les cheveux dénoués, la poitrine haletante, les yeux hagards, je me répétais : "Je viens d'avoir vingt ans ! vingt ans !" Et ces mots sonnaient comme un glas à mes oreilles ! 

Il arriva cependant une belle histoire à notre héroïne. Un jour, elle tomba évanouie, de faim, sans doute, elle ne se souviens plus dans quelles circonstances, mais, elle raconte qu'à son réveil, un homme était près de son lit. Un passage de ses mémoires raconte ce fait : " Je ne sais ce qui se passa ensuite, ni ce qu'il advint de moi. Je dus m'évanouir, et quelqu'un dut m'emporter et me recueillir. Je ne sais plus... mais ce que je sais, c'est que quelques heures après, un homme était à mon chevet. C'était le Comte Guillaume d'Oilliamson. Le Comte m'avait déjà fait savoir qu'il désirait faire ma connaissance. Il avait appris ma misère. Il m'aimait. Il voulait m'emmener à Paris, faire de moi sa maîtresse. J'en avais assez de souffrir et de me traîner, en loques, de cafés en cafés, de mendier de table en table, d'être coudoyée, frôlée, désirée et méprisée. Mieux valait encore la grande vie, avec les dames huppées que fréquentait le Comte, dans les restaurants de nuit, au milieu des clartés étincelantes, des orchestres langoureux et des toilettes bariolées, mieux valait la haute noce parmi les hommes en habit, que la détresse grelottante dans les bas quartiers de Marseille !

Je me laissai tenter par mon soupirant. Je fis avec lui mon entrée dans Paris ! "

Elle arriva donc dans la capitale, au bras d'un aristocrate qui se plaisait à exhiber (dit-elle) "la fleur drôlement poussée que j'étais". Mais son "genre" finit par susciter des quolibets, des remarques, des calembours qui finirent par agacer le comte. Il décida donc donc de faire d'elle "une femme du monde ou du demi, ces deux catégories ayant été, de tout temps, étroitement unies ".

Ils quittèrent donc l'hôtel Continental où le comte avait ses habitudes, pour l'installer en meublé, rue Richepanse (Rue du Chevalier de Saint-George, aujourd'hui), dans le Ier arrondissement.

Hôtel Continental, Pl. de l'Opéra, Par MOSSOT
Rue Richepanse Par William Jexpire

Il l'habilla, lui fit donner des leçons de maintien, la mena dans les grands restaurants, les champs de course, les coulisses des théâtres, etc.

Elle raconte cette période dans ses Mémoires : il (le comte) "  me combla de bijoux, de cadeaux, me prodigua une passion classique à laquelle je répondis par la classique cruauté d'une femme adulée, gâtée, qui se sait jeune et belle, et qu'étourdit et qu'écœure en même temps tout ce luxe factice et tout ce fade encens. Je fus bientôt lancée et à la hauteur de toutes celles, qui, quelques mois avant, riaient de mes guenilles et de ma gaucherie.

Serge de MORNY

Je fréquentais déjà le Prince Louis de Tarente (Louis de La Trémoïlle, prince de Tarente du chef de son épouse), François de Noailles, Comte Serge de Morny, Charles-Auguste Duc de Morny, (ces deux derniers sont des petits-fils de la Reine Hortense, elle même fille de Joséphine de Beauharnais - ndlr - Voir ici : La descendance de Joséphine de Beauharnais repères IV-23 et IV-24) Gabriel Du Tillet, Prince de Poix, Comte de Clermont-Tonnerre, Marquis de Pracomtal (Charles-Léonor Richard ndlr), les hommes les plus distingués et les plus célèbres me faisaient la cour. Cette existence de plaisir que je détestais au fond, il me fallait la vivre. Elle m'avait prise toute entière, malgré le dégoût que j'y trouvais, mais je l'ai dit, je n'avais pas le choix. Et, à tout prendre j'aimais encore mieux les madrigaux des soupirants en frac, que l'argot des trafiquants de la canebière. "

Mais le comte finit par se lasser, et la quitta, non sans lui avoir laissé des subsides suffisants. Elle quitta donc la rue Richepanse pour la rue Royale. Mais elle n'y resta pas longtemps, son nouvel amant, le comte Arnold de Contades, l'installa enfin chez elle, au 17 rue de la Trémoille.

17 rue de la Trémoille, parisrues.com, Photo Google Maps

Mais, manquant d'argent après avoir acquis moult toilettes et bijoux pour honorer son nouveau statut, elle ne put meubler que trois pièces de son vaste appartement. Comme elle tenait quand même à pendre la crémaillère avec tous ses amis, elle eut une idée originale : son immense salon étant vide de tout mobilier, elle fit recouvrir son plancher d'herbe fraîche et commanda chez Potel & Chabot un déjeuner que ses amis furent ravis de manger sur l'herbe tendre d'un appartement du XIIIe arrondissement ! 

Cependant, elle persistait dans son souhait de devenir une vedette de la scène, et se fit engager aux Variétés, dans la pièce "La Grande Duchesse", jouée par Judic, où elle rencontra les artistes célèbres de ce temps : Baron Lassouche, Dupuis Ève Lavallière, Christian.

Théatre des Variétés vers 1820

 

Elle se produit ensuite aux Menus-Plaisirs (le Théâtre Antoine aujourd'hui) où elle croisa encore Louise Balthy, Émilienne d'Alençon, Méaly.

Trombinoscope des artistes qu'elle cotoya aux Variétés et aux Menus-Plaisirs

Eugénie, à ce moment, prend un peu ses distances avec la scène, et se contente de vivre une vie de mondaine parisienne, riche et oisive. Son amant, Arnold de Contades, était gai, charmant, et lui assurait, dit-elle " une vie ouatée et légère. Quelles distractions charmantes et de tous les instants il me procurait : le matin, j'étais, aux bois, une amazone accomplie ; l'après-midi je conduisais une charrette anglaise et un amour de petit poney ; le soir je brillais et j'extravaguais, à des dîners somptueux, où toute la bande des pschuteux, des aristos et des théâtreux, se retrouvait ! Et c'était la griserie des courses, les salles de jeux, et le Jardin de Paris où, après les repas du soir, toutes les jolies femmes de mon temps se donnaient rendez-vous. ", 

Jardin de Paris

Dans ses mémoires, elle dresse à ce moment le portrait des différentes égéries de l'époque, portrait pas toujours enchanteur, d'ailleurs. Elle en parle ainsi " Je peux dire que tous les échantillons féminins ont passé par là. Je vais m'efforcer d'en extraire quelques-uns de ma vitrine aux souvenirs. Voici Émilienne d'Alençon. À ce moment-là, la maîtresse du duc Jacques d'Uzès, surnommé le petit Duc, et qui avait une marotte inoffensive, celle de dresser des lapins ".

Jacques, duc d'UZÈS

L'une d'elles fait l'objet de mentions spéciales, Marie DELANOY ! Et elle mérite bien ces

Marie DELANOY

propos.  Voici l'image qu'elle en donne : " Marie Delannoy mérite une mention spéciale. On aurait pu la surnommer la courtisane des Rois ; elle avait eu les faveurs de presque tous les Rois et les Empereurs de son temps. Elle assurait, d'ailleurs, que rien n'était plus assommant que de passer une nuit avec ces gens-là ! Et elle avait coutume, après avoir donné quelques explications à l'appui de son jugement, de conclure, avec une moue de femme lassée et méprisante : "Autant coucher avec tout le personnel !"

Guillaume II

Une nuit passée avec le Kaiser, notamment, était restée son cauchemar de tous les instants. Il paraît que, tandis que son auguste partenaire s'exerçait à lui prouver sa flamme, la malheureuse Delannoy entendait les cent pas de la Garde Impériale devant la porte du Palais. Elle se consola d'ailleurs de ses déboires royaux et impériaux dans les bras de la haute Aristocratie, parmi lesquels elle comptait de nombreux amants, entre autres le Duc de Dino... mais je crois que sa véritable passion fut pour le marquis di Rudini. "

Pour le reste, je laisse le lecteur savourer dans son jus le texte intégral tel que relevé dans ses Mémoires, cela vaut son pesant d'or !

Clémence de PIBRAC

"Clémence de Pibrac, une autre demi-mondaine très cotée, avait, elle aussi, une passion aussi irrésistible, mais d'un tout autre ordre : le Champagne, (et pour cause, elle était champenoise ! ndlr) ce qui ne l'empêchait pas de collectionner aussi d'innombrables- amitiés amoureuses et bien payantes !

Courte vidéo sur Clémence de Pibrac sur le site Orange Actualités

Quand le nom de Liane de Pougy revient à ma mémoire, je ne puis m'empêcher d'évoquer la Villa qu'au plus beau temps de ses succès elle avait acquis à Menton et qu'elle décorait de ce nom suave : La Perla.

Liane de POUGY

La Perla en avait vu de drôles. La belle Liane y enfermait son amant en disant : "Je l'ai mis à la chaîne, je le délivrerai en rentrant." Sur l'écran de mon souvenir passent encore : la chanteuse Méaly que j'avais connue aux Menus-Plaisirs avec Émilienne d'Alençon et Balthy et qui vivait maritalement avec Simon de L'Écho de Paris ; Henriette de Barras, Mirka Burth, Renée Maupin, Léonie Miroy, Adèle Richer et Irma de Montigny aimant toutes deux passionnément la Danse et la Fête, et convenablement éloignées du tourbillon où elles avaient vécu, pour s'exiler, en amoureuses très sages, la première avec un excellent garçon dont le nom a fui ma mémoire, la seconde avec le Comte de Lastic Saint-Jal.

La Belle Otero

La belle Otéro, Albertine Wolf, amazone de grande allure et qu'un serrurier entretenait richement ; les sœurs Chailloux, dont l'une, Henriette, préside aujourd'hui aux destinées d'un tripot clandestin, où vieilles rentières, castors et demi-castors viennent jongler avec les billets de mille francs ; Laure Hayman, créature très supérieure qui passait une bonne partie de son temps et de ses loisirs à se fâcher et à se raccommoder avec son plus fervent adorateur le Prince Karageorgevitch et qui avait une façon inimitable de s'écrier: "Ces Slaves, ils ne peuvent jamais dire la vérité !" C'était elle qui, fort gentiment, m'avait mis en garde contre la trop grande fécondité du beau de Merena, lequel avait la réputation justifiée de faire des enfants à toutes les jolies femmes de Paris ! Elle m'amusait beaucoup quand, me prenant par le bras, elle croyait devoir m'avertir : "Ne vous asseyez pas sur cette chaise, de Merena vient de s'y asseoir, vous auriez un enfant !" Et elle me glissait à l'oreille : "Savez-vous que le fils de Jeanne Granier est du Comte de Merena ?" Et elle ajoutait, avec un grand sérieux : "Il y en a comme ça des tas dans Paris !"

Laure HAYMAN
Alexis KARAGEORGEVITCH

 

Des noms encore ? Fanny Robert qui avait créé ma devise Sans surprise car rien, en effet, ne m'étonnait déjà... Fanny était à ce moment, ma grande conseillère. Toute sa philosophie tenait dans ces simples mots : "Quand quelque chose ne va pas, faut traverser l'eau !" Le trio Suzanne Derval ?

Suzanne DERVAL

La Générale Rothviller ? Jeanne de Bélhune. Cette dernière demandait à Lesbos les joies que la nature semblait lui refuser par ailleurs, et qui passait sa langue sur ses lèvres d'une façon par trop ostensible et significative ;

Marie-Louise MARSY

Mary Louise Marsy qui épousa plus tard Louis de Vassart d'Hozier ; Anna Thibaud, qu'on voyait avec le Comte J. de Lahens ; Francine Delaroche dont la joliesse ne rachetait point l'incommensurable bêtise, comparable à celle de la Maréchale Lefèvre. C'était elle qui, complimentée au cours d'un dîner par un de ses galants, qui venait, en termes élégants, de la comparer à La Du Barry, lui répondit sans aucune espèce d'hésitation : "Ah ! c'est pas une femme chic ! Je ne la connais pas !"

Mathilde de MORNY (Missy)

La marquise de Belbœuf, (Mathilde de MORNY, dite Missy, qui fut une tendre amie de Colette - aussi petite fille de la Reine Hortense - (elle même fille de Joséphine de Beauharnais - Voir ici : La descendance de Joséphine de Beauharnais repère IV-25) ndlr)  sœur du Duc de Morny, qui disait : "mon frère et moi nous avons eu les plus jolies femmes de Paris" ; Suzanne Néry, Marthe Elly devenue Princesse Collorado, Berthe d'Egreville devenue Baronne de l'Espée, un couple fameux : la danseuse Ricotti et son amie la Princesse Poniatwska. Mais les noms succèdent aux noms, les figures se pressent dans ma mémoire ! Quelle cohue d'apparitions, quelle confusion, quel vertige ! que de fantômes ! Marie Beckmann, et enfin Katinka, cette troublante enfant de bohème qui, un soir, à l'issue d'un dîner qu'elle offrait, nous dit, en désignant Louis de Biré : "Je vous présente mon financier !" Sa langue avait vraisemblablement fourché ! ; elle avait voulu dire "mon fiancé" et tout le monde de rire, comme à l'audition des pataquès de Francine Delaroche. N'avais-je pas moi-même commis une de ces bévues regrettables comme il en échappe aux mieux intentionnés ? Je n'ai jamais perdu le souvenir de la gaffe énorme que je fis, certain soir, lors de mes débuts dans le demi-monde, à Aix-les-Bains, à l'heure du Casino où les plus hautes personnalités échangent des propos aimables et des saluts cérémonieux. Je me trouvais dans un groupe très chic ; j'étais fort entourée. Un des hommes les plus élégants m'offrit une coupe de champagne : "Avec plaisir, lui dis-je ! Vous savez, moi je ne suis pas fière !"

Georges Ier, roi de Grèce

Celui à qui je venais d'adresser cette réponse assez cavalière n'était autre que le Roi Georges de Grèce. J'entendis autour de moi des petits gloussements d'hilarité. Ma gaffe fit le tour du Casino. La presse locale s'en inspira pour rédiger des échos. J'appris que l'indulgence n'est pas la qualité dominante de l'humanité. Une familiarité voulue vaut certes mieux qu'une étourderie de ce genre.

Édouard VII, roi d'Angleterre

Laure Hayman dont je parlais tout à l'heure avait coutume de déclarer : "Je dîne avec De Galle" pour dire avec le Prince de Galles (futur Édouard VII, roi d'Angleterre -ndlr- Voir ici un article où il est souvent cité : http://genealogiehistoiredefamilles.over-blog.com/2019/10/petite-histoire-des-maisons-closes.html ). C'était beaucoup moins respectueux, mais ça faisait beaucoup plus chic !  "

Plus loin, elle cite encore " Au hasard de l'Alphabet, on trouverait Jacques Hennessy qui répondait à la douce appellation de "saint Vincent de Paul de la Prostitution" ! On apprendrait que Marie Quinaud ornait son luxueux et odorant papier à lettre d'une appétissante majuscule : la lettre Q qu'elle accompagnait de cette simple profession de foi : Tout pour lui ! Je regrette d'avoir oublié le nom de cette Hétaïre qui embellissait l'entête de ses missives d'une vignette représentant ce vautour de l'Amérique du Sud que les naturalistes connaissent sous le nom de Condor. Sa devise : à qui vous voudrez. La devise de Marion Delornie : Je m'ouvre la nuit. Ah ! j'allais oublier la jolie Ninette Desmelay, surnommée prends-moi toute. C'était son cri d'amour. Elle était bien gentille, cette Ninette, et elle minaudait des réponses dont la spirituelle malice ne manquait point de nous divertir. A quelqu'un qui, autour d'une table de Baccara, à cinq heures du matin, lui demandait : "A quelle heure on te couche !" elle répondit : Quand on me lève !  "

Elle continue sur ce ton durant quelques pages, que je ne retranscrit pas ici, à charge pour les lecteurs intéressé de se reporter aux Mémoires de l'intéressée, dont j'ai donné le lien en tête de cet article.

Je ne peux toutefois omettre un épisode, très court, mais très significatif de la vie menée à cette époque par tout ce beau monde. Voici cette anecdote savoureuse : " L'existence que nous menions était fort onéreuse pour nos amants et pour nous-mêmes ; on dépensait un argent fou, et il nous fallait avoir recours aux terribles, mais indispensables usuriers, qui jouaient un rôle considérable dans nos affaires privées... Le vieux Marquis de Saint-Sauveur, comme tant d'autres personnages de la noblesse française, était toujours à court d'argent ; l'état de ses finances devenait inquiétant au point que son usurier s'avisa un jour de lui déclarer qu'il ne marchait plus. Le marquis très embarrassé, très mécontent, mais voulant à tout prix s'évader de cette "mouise" opaque imagina cette machiavélique mise en scène : il trouva le moyen de louer un fourgon funèbre à la journée, arriva avec cet équipage chez son usurier et lui annonça avec un sérieux imperturbable que son oncle à héritage venait de mourir, lui laissant une petite fortune qui s'élevait modestement à deux cent mille francs de rente, mais que, devant faire transporter le corps en province, il n'avait pas l'argent nécessaire. L'usurier devant la réalité des faits, consentit à faire l'avance des fonds que sollicitait son cynique débiteur ; et le vieux Marquis repartit, marchant très las derrière le funèbre véhicule, qui, détail piquant, resta toute la nuit devant la porte de chez Maxim's ! "  (Pour des détails sur les cortèges funèbres et le métiers qui s'y rapportent, Voir ici : Clocheteur, une profession originale

Toutefois, cette vie finit par la lasser, et elle recommença à rêver à la scène ! Il lui vint alors le mal du pays, et lâcha amant(s), biens, appartement, amis, pour un retour en Algérie où elle resta quelques mois. À son retour à Paris pour l'exposition de 1889, son bel Arnold ne l'avait pas attendu. Elle se consola alors avec Erasme, aussi un Contades (mais je n'ai pas trouvé de lien le concernant) et se mit sérieusement à travailler ses gammes pour reprendre la vie de music-hall. Mais un nouvel épisode allait encore contrarier ce retour sur scène. Installée dans un nouvel appartement par son nouveau chevalier servant, Adrien de MUN, ami intime du baron Édouard de Rothschild, au 26 de la même rue de La Trémoïlle, elle rencontra des personnages impliqués dans la presse et la politique. Tout d'abord, Georges de Labruyère, un journaliste, qui travailla dans plusieurs journaux, dont l'Écho de Paris, et le Cri du Peuple, quotidien socialiste fondé par Jules Vallès.

Geaorge de LABRUYÉRE
L'Écho de Paris

 

Il était alors en couple avec Caroline Rémy, dite Séverine, directrice du Cri du Peuple, et celle-ci allait avoir une grosse influence sur l'avenir d'Eugénie. 

 

Le Cri du Peuple
Séverine

 

Toutefois, les thèses boulangistes soutenues par le couple allaient valoir à notre héroïne un petit séjour en prison. Pendant cette exposition de 1889, elle avait fait venir sa mère depuis l'Algérie, pour la lui faire visiter. Sa mère était restée très nationaliste, et soutenait aussi les thèses du général Boulanger. 

Exposition Universelle de Paris en 1889
Sadi CARNOT, Président

Lors d'une visite de l'exposition, le cortège du Président de la République Sadi CARNOT traversait le pavillon norvégien, sa mère se mit à crier "Vive Boulanger !" Aussitôt, le forces de l'ordre interviennent pour saisir la brave dame, sa fille s'interpose, et pour faire bonne mesure se met aussi à crier "Vive Boulanger !" Elles furent conduites au dépôt, et Eugénie fut condamnée à purger quinze jours de prison à Saint-Lazare ! (Elle chantera d'ailleurs par la suite la chanson "À St-Lazare"). Ce fut son dernier exploit en politique, et elle se remit bien vite à ses chères études théâtrales. Séverine continuait à la conseiller, ce qui lui fit le plus grand bien.

Sa vie d'artiste, voir la suite ici

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